Mars 2013 /222

Doublé gagnant pour le Pr Michel Georges et son équipe

GeorgesMichelLa génomique est une discipline récente, qui émane de la convergence de la biologie moléculaire, la génétique, la bioinformatique et la robotique. Elle vise à caractériser le génome complet d’organismes aussi divers que les virus, les bactéries, les plantes et les animaux. Au cours des deux dernières décennies, elle a radicalement bouleversé notre vision et notre conception du vivant. Appliquée à l’homme, elle a fait naître l’espoir d’une compréhension détaillée des différences génétiques qui sous-tendent les prédispositions individuelles aux maladies héréditaires – qu’il s’agisse de la mucoviscidose ou de maladies complexes comme le cancer, le diabète ou la schizophrénie – et, se faisant, d’un développement de meilleures thérapies. Il est possible aujourd’hui de séquencer le génome d’un individu pour 1500 euros et ce prix continuera à baisser. La génomique médicale, c’est-à-dire l’utilisation routinière d’informations génomiques en clinique, est perçue comme une transition inéluctable et imminente.

Photo : Le Pr Michel Georges - © J.-L. Wertz

Les recherches en la matière constituent un enjeu majeur à divers égards. Les pouvoirs publics l’ont bien compris. L’Union européenne finance des programmes de recherche et accorde des ERC Grants. La Région wallonne, pour sa part, a mis en place un institut interuniversitaire, le “Walloon excellence in Lifesciences and Biotechnology” (Welbio), dans le but de financer les recherches dans le domaine biomédical. Ces deux organismes publics viennent de distinguer l’équipe du Pr Michel Georges en lui accordant des projets de recherches majeurs en génomique : l’European Research Council (ERC), pour un projet de recherche à caractère fondamental sur les processus de mutation et de recombinaison (exploitant les particularités uniques des populations bovines) ; Welbio, pour un projet visant à identifier des gènes de prédisposition à la maladie de Crohn comme cibles thérapeutiques nouvelles. Ces deux projets ont une échéance respective de cinq et quatre ans; ils bénéficient en outre d’un soutien financier de l’ordre de 3,5 millions d’euros.

Des vaches et des recombinaisons

Depuis près de 20 ans, l’unité de génomique animale dirigée par le Pr Michel Georges*, de la faculté de Médecine vétérinaire, développe et applique des méthodes de génomique aux animaux domestiques. Ses travaux ont contribué à la mise en place de programmes de “sélection génomique” qui ont révolutionné les pratiques d’élevage et sont aujourd’hui largement répandus pour la gestion des tares héréditaires et l’identification précoce d’animaux “élites”. L’analyse du génome des animaux domestiques a par ailleurs révélé des mécanismes moléculaires nouveaux, en particulier dans le domaine de l’épigénétique. Ainsi, des recherches menées sur des animaux domestiques ont eu un impact au niveau fondamental et dès lors une portée plus large.

Le Pr Michel Georges est en particulier à la manoeuvre dans le dossier “Damona” (d’après le nom d’une déesse gauloise de la fertilité symbolisée par une vache) présenté devant le Conseil européen de la recherche et qui vient de recevoir un Advanced Grant, véritable reconnaissance de la qualité du projet. Chaque enfant qui naît hérite de près de 100 néo-mutations de ses parents, en particulier du père et ce d’autant plus que celui-ci est âgé. Il s’agit d’erreurs incorporées dans l’ADN lors de la production des gamètes (spermatozoïdes et ovocytes). Ces mutations sont potentiellement délétères et on comprend dès lors que la sélection naturelle a favorisé l’essor de mécanismes minimisant ce taux d’erreur. Mais cette recherche de fidélité a un prix : combien d’énergie investir dans cette recherche de la perfection avant que cela ne devienne pénalisant ? En outre, la fraction des néo-mutations qui sont favorables, même si elles sont minoritaires, est le substrat indispensable pour l’adaptation des espèces par sélection naturelle. Une espèce qui aurait entièrement éliminé toutes les néo-mutations serait condamnée à la stagnation évolutive.

Il y a donc une bonne raison de penser que le taux de néo-mutations prévalant reflète un équilibre subtil entre ces forces opposées. « Cela signifie probablement que nous ne sommes pas tous égaux en matière de néo-mutations et qu’une partie au moins de ces différences sont d’origine génétique », avance Michel Georges. Le premier objectif du projet Damona est de tirer parti des avancées récentes dans le domaine du séquençage à haut débit et de la structure particulière des populations de bovins domestiques, pour quantifier les différences entre individus en matière de néo-mutations et éventuellement identifier des gènes qui y contribuent. Le deuxième, quant à lui, vise l’étude du phénomène de recombinaison et l’identification des gènes qui sous-tendent les différences existant entre individus, en tirant à nouveau parti de la structure unique des populations bovines et des données génétiques disponibles dans celles-ci.

Maladie de Crohn

Une des caractéristiques des méthodes génomiques est leur caractère “générique” : elles s’appliquent quasi sans discrimination à l’analyse des génomes pro- et eucaryotes, végétaux, animaux et humains. C’est donc très naturellement que, lors de la mise en place du centre interfacultaire qu’est le Giga, s’est développée une collaboration particulièrement fructueuse avec le département de gastroentérologie et hépatologie du Pr Edouard Louis sur la génétique de la maladie de Crohn. Cette pathologie, qui affecte un nombre croissant d’individus dans les sociétés industrialisées, est une inflammation chronique de l’intestin très invalidante. L’augmentation de son incidence reflète sans aucun doute l’influence de facteurs d’environnement encore mal compris. « Mais nous ne sommes pas tous aussi sensibles à ces facteurs d’environnement et une bonne part des différences de sensibilité entre individus est héréditaire », affirme le Pr Georges.

Invalidante et incurable pour le moment, cette inflammation du tube digestif s’attaque prioritairement à l’intestin et au côlon et se manifeste par des douleurs sévères et des diarrhées parfois accompagnées de saignements. Des complications comme des abcès, des perforations du tube digestif ou une occlusion intestinale sont fréquentes, nécessitant alors un recours à la chirurgie. « L’enjeu actuel est de mettre au point des médicaments plus ciblés, plus efficaces qui s’attaqueraient d’emblée aux causes de la maladie », conclut le Pr Michel Georges. Dans cette optique, la recherche des gènes de prédisposition à ces pathologies ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques (et diagnostiques).

La maladie de Crohn est typiquement multifactorielle. « Aujourd’hui, la communauté scientifique a déterminé 163 endroits du génome qui sont impliqués dans la pathologie, nous apprend le professeur. Et c’est dans ce droit fil que nous avons construit le projet de “Caractérisation génétique et génomique de la prédisposition héréditaire aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin” qui vient d’être sélectionné par Welbio. » Car si les régions du génome ont été cernées, les variations génétiques – et encore moins les gènes – qui perturbent le bon fonctionnement ne sont pas connus. Or, ce sont précisément ces gènes qui constituent les cibles thérapeutiques.

A l’image du Giga, l’unité de génomique animale est multidisciplinaire. Outre ses vétérinaires, elle comprend des chimistes, biologistes, agronomes, médecins, mathématiciens, techniciens et administrateurs, originaires des quatre coins du monde. La proportion de bioinformaticiens ne fait qu’augmenter et dépasse aujourd’hui 50%. L’unité se targue d’ailleurs de la complémentarité des compétences individuelles et de sa capacité à travailler en équipe.

Patricia Janssens

* L’unité de génomique animale est composée de 30 chercheurs, dont deux directeurs d’équipe, Carole Charlier et Wouter Coppieters.

Voir le site www.giga.ulg.ac.be/jcms/c_5470/fr/genetique

Financement de la recherche

L’ERC et Welbio ont plusieurs caractéristiques essentielles en commun. L’un et l’autre octroient des moyens considérables à des chercheurs individuels proposant des projets de recherche non-orientés, sélectionnés uniquement sur base de leur qualité scientifique évaluée par un panel d’experts unanimement reconnus par leurs pairs. L’ERC finance la recherche dans toutes les disciplines alors que Welbio cible uniquement les sciences du vivant. « Le choix de financer des projets non-orientés, sélectionnés uniquement sur base de critères d’excellence, a à lui seul un effet bénéfique sur la qualité de la recherche, explique Michel Georges. Les chercheurs restent dans leur domaine de compétence et se concentrent – souvent durant plusieurs semaines – sur l’élaboration du meilleur projet qu’ils puissent imaginer. » Les commentaires des évaluateurs participent à un cercle vertueux qui mène à l’amélioration des projets. « Tant pour l’ERC que pour Welbio, nos premiers projets déposés lors de précédents appels n’ont pas été retenus, avoue le Pr Georges. Nous les avons améliorés, aidés en cela par les commentaires des évaluateurs, et avons converti nos deuxièmes essais. »

L’ERC et Welbio résultent d’initiatives bottom-up « émanant de chercheurs frustrés par les travers d’autres formes de financement imposant des thématiques de recherches trop souvent en fonction d’effets de mode ou d’efforts de lobbying, exigeant prématurément la participation d’entreprises et réclamant des retombées économiques irréalistes », regrettet-il. Les applications qui résultent de la recherche ne peuvent le plus souvent pas être anticipées mais sont d’autant plus innovantes que les avancées scientifiques étaient profondes. Ce n’est pas par hasard si les sociétés privées foisonnent aux alentours des meilleures universités américaines réputées avant tout pour la qualité de leur recherche fondamentale. Et le Pr Georges d’ajouter : « La valeur d’une recherche de qualité ne se limite pas à son effet de levier économique (même si celui-ci – on le comprend – est considéré comme essentiel pour l’avenir de notre région). Elle est pour l’Université le garant d’un enseignement de qualité et pertinent, dispensé par des acteurs au fait des dernières avancées. Elle sera peut-être vitale pour la survie de l’Institution dans un espace de l’enseignement supérieur et de la recherche sans frontières. Et cela sans oublier la dimension culturelle de la recherche : mieux comprendre qui nous sommes et l’univers dans lequel nous vivons ne se justifie-t-il pas à lui seul ? »

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