Mars 2013 /222

Une enquête ausculte les parlementaires

Après les élections législatives fédérales du 13 juin 2010, la Belgique a battu, on s’en souvient, un triste record en son genre : 541 jours sans gouvernement ! Longue période où les parlementaires sont restés en stand-by mais qui fut mise à profit par trois chercheurs en science politique, à savoir Jérémy Dodeigne (FRSFNRS Ulg-UCL), Min Reuchamps (UCL) et Dave Sinardet (universiteit Antwerpen/VUB). Entre juillet et octobre 2011 en effet, soit avant tout accord définitif sur la sixième réforme de l’Etat, ils ont conjointement mené une enquête auprès des différents parlementaires pour capter leur perception de l’avenir du fédéralisme du pays.

Des clichés battus en brèche

A cette fin, les 513 représentants – tant régionaux que fédéraux – ont été invités à répondre à un questionnaire en ligne, entièrement anonyme, comportant 26 questions et couvrant quatre grandes thématiques : quelle future architecture institutionnelle envisagent-ils ? De quelles identités politiques (locale, régionale, fédérale, européenne) se sentent-ils le plus proches ? Quelles raisons invoquent-ils pour justifier cette énième réforme de l’Etat ? Quelle opinion se font-ils des relations communautaires et particulièrement de l’hypothèse de l’instauration d’une circonscription électorale fédérale ? A la batterie d’environ 90 items que comportait le questionnaire ont répondu 255 parlementaires, ce qui représente un taux de participation non négligeable de 49,8 %.

« A la suite de la longue crise qui se prolongeait, il était urgent de mettre en lumière le nouveau centre de gravité politique du fédéralisme belge, observe Jérémy Dodeigne, autrement dit d’expliquer le point d’équilibre entre le désir d’une autonomie régionale renforcée et le maintien d’un pouvoir fédéral fort. Raison pour laquelle nous avons demandé aux parlementaires de se positionner sur une échelle numérotée de zéro à dix, la valeur “0” représentant une situation où Régions et Communautés devraient avoir toutes les compétences, la valeur “10” à l’autre extrême signifiant que toutes les compétences devraient être attribuées au Fédéral. La “5”, elle, exprimait explicitement le statu quo par rapport à la répartition actuelle des compétences. » Les résultats de l’enquête ainsi conçue ne manquent pas de nuancer, voire de contredire certaines vérités largement diffusées par les discours médiatiques ambiants.

Au premier rang de ceux-ci figure l’image de deux blocs opposés : le monde politique flamand contre le monde politique francophone. En fait, à l’examen des réponses enregistrées, elle est loin de correspondre à la réalité. Il existe certes une tension tenace entre les deux partis leaders de leur région : la N-VA, située à droite de l’échiquier politique et très autonomiste, et le PS, positionné à gauche et défendant une position plus unioniste. « Mais, si l’on analyse les moyennes par partis, il apparaît que les formations politiques ne sont pas si éloignées les unes des autres. Dans la mesure où l’on prend en ligne de compte l’ensemble du spectre politique, plusieurs partis flamands ont même des positions relativement similaires à celles de leurs homologues francophones », ajoute Jérémy Dodeigne.

Similitudes et consensus

Alors que les partis flamands sont souvent présentés comme monolithiques et promouvant plus de régionalisation, l’impression devient autre dès qu’on s’attarde sur certaines préférences individuelles : la N-VA et le VB y sont farouchement favorables, le CD&V sensiblement aussi, mais l’OpenVLD, Groen! et sp.a sont à contre-courant du “consensus flamand”, ce qui fait que leurs mandataires partagent une vision plus proche de celle des quatre grands partis francophones (PS, MR, Ecolo, cdH). Par ailleurs, chez les francophones, le scénario de la régionalisation accrue a été sensiblement adopté, avec néanmoins un faible score au PS : anciens partisans résolus de la régionalisation, les socialistes y sont aujourd’hui moins attachés car ils n’ignorent pas que l’autonomie fiscale et les politiques sociales régionalisées ne feraient qu’aggraver l’appauvrissement de la Wallonie.

Comme quoi, les choses qui paraissent aller de soi résistent rarement à un décryptage minutieux. C’est une des leçons de cette enquête dont les résultats – détaillés et commentés – paraîtront dans une prochaine livraison de La Revue nouvelle sous le titre “L’avenir du fédéralisme en Belgique : les visions des parlementaires fédéraux et régionaux”.

Henri Deleersnijder

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants