Mars 2013 /222

Concert et coup de projecteur sur un personnage

PierrotLunaireCe 19 mars, la salle académique de l’ULg accueillera le Pierrot lunaire d’Arnold Schönberg. Le Conservatoire royal de Liège ainsi que ceux de Bruxelles et de Mons se relayeront pour en interpréter les différentes parties. Au programme de cette soirée figurent également plusieurs communications : le regard musicologique côtoiera l’analyse des poèmes d’Albert Giraud repris dans l’oeuvre du compositeur autrichien. Ce concert sera aussi l’occasion de s’attarder sur la figure de Pierrot et sur son étonnante épopée littéraire.

Personnage central du Pierrot lunaire de Schönberg, Pierrot a connu un riche parcours que le Pr Jean-Pierre Bertrand, spécialiste de la littérature française du XIXe et du XXe siècles, retracera à cette occasion. Figure vivante et méridionale de la Commedia dell’arte, son nom réapparaît à la fin du XIXe siècle sous la plume des symbolistes, dans un corpus totalisant une centaine d’oeuvres ; essentiellement poétiques, elles touchent également à la pantomime et au romanesque. Ce succès s’accompagne d’un renversement complet de la symbolique traditionnellement associée à Pierrot : du zanni léger, joyeux et ludique de l’ancienne comédie italienne, il se transforme en un personnage triste, incarnation de l’impuissance, de l’ironie et de la mort. Chez le poète français Jules Laforgue, qui a particulièrement exploité cette figure, le personnage se confond avec l’imaginaire de l’artiste incompris, en proie à l’impossibilité de créer. Fantôme pâle et imberbe, il demeure un éternel observateur incapable de s’intégrer au monde qui l’entoure : le valet autrefois épris de Colombine chemine à présent seul et l’aisance verbale dont il faisait preuve dans la Commedia a laissé place à une gesticulation stérile, emblématique de ses échecs relationnels.

C’est dans cette mouvance sombre que le poète symboliste belge Albert Giraud écrit, en 1884, son recueil Pierrot lunaire : rondels bergamasques. Les vers, de facture parnassienne, déclinent le personnage de Pierrot en différents portraits, oscillant entre mélancolie et dérision. Arnold Schönberg ne les découvre que dans leur traduction allemande, due au poète Otto Erich Hartleben en 1893 : son adaptation libre modernise la forme francophone initiale, de structure assez classique. Cette version allemande, plus proche de l’expressionnisme que des tonalités symbolistes de l’oeuvre de Giraud, connaîtra d’ailleurs une vie propre – faisant à son tour l’objet de traductions en langue française.

De ce recueil, Schönberg retient 21 poèmes, qui servent de trame à l’écriture du Pierrot lunaire en 1912. Alors qu’il vient de terminer son Traité d’harmonie, le compositeur viennois – installé à Berlin depuis le début du siècle – élabore ce qui deviendra une de ses oeuvres les plus célèbres. Marquée par l’atonalité, elle s’inscrit dans un contexte artistique singulier, qui voit notamment la genèse des premières toiles abstraites de son ami Wassily Kandinsky ; cet atonalisme, intimement lié à la Seconde Ecole de Vienne, ponctue également les productions de ses élèves Alban Berg et Anton Webern. Une autre particularité du Pierrot lunaire de Schönberg, influencée par un style en vogue dans les cabarets berlinois, est l’emploi du Sprechgesang. A mi-chemin entre le chant et le langage parlé, cette spécificité technique rend l’interprétation périlleuse ; souvent proche du cri ou du sanglot, elle épouse la personnalité torturée du Pierrot de la fin du XIXe siècle. Par ces différentes caractéristiques, le mélodrame de Schönberg, dernière oeuvre avant ses recherches dodécaphoniques des années 1920, constitue un tournant marquant dans l’histoire de la musique. A (re)découvrir le 19 mars prochain.

Julie Delbouille

Le Pierrot lunaire de Schönberg

Concert, le mardi 19 mars à 20h, à la salle académique de l’université de Liège. Entrée libre.

Avec présentation des poèmes d’Albert Giraud (par Gérald Purnelle), de la figure du Pierrot dans la littérature (par le Pr Jean-Pierre Bertrand) et de l’aspect musicologique de l’oeuvre de Schönberg (par Toon Fret).

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants