Mars 2013 /222

Energie verte

Les panneaux photovoltaïques produisant une “énergie renouvelable” ont été présentés comme une solution écologique d’avenir. Afin de lancer la filière, le gouvernement wallon a accordé des incitants fiscaux aux ménages et aux entreprises pour qu’ils investissent dans ce secteur. On apprend maintenant que cela va coûter 2,5 milliards d’euros à la collectivité. Le point de vue de deux chercheurs sur la question : Axel Gautier, professeur d’économie à HEC-ULg, et Damien Ernst, chargé de cours à l’Institut Montefiore en faculté des Sciences appliquées.

GautierAxelLe 15e jour du mois : Présentée comme un idéal, la filière du photovoltaïque est aujourd’hui vilipendée. Une explication ?

Axel Gautier : Ce n’est pas la filière qui est mise en cause, mais les subventions publiques dont elle bénéficie. Pour rappel, le gouvernement wallon a mis en place le système des certificats verts (CV) pour soutenir la production d’énergies renouvelables (éolien, biomasse, panneaux photovoltaïques, etc.). Les fournisseurs d’énergie doivent garantir un volume d’énergie “verte”, soit 19,4% du total de leur offre en 2013, au moyen de CV. Soit ils la produisent eux-mêmes, soit ils achètent des CV sur le marché, par exemple aux particuliers qui reçoivent des certificats au prorata de leur production (et bénéficient en sus d’autres avantages fiscaux).

L’idée n’est pas mauvaise… Encore aurait-il fallu adapter le système aux conditions du marché. En effet, s’il était onéreux de s’équiper de panneaux photovoltaïques il y a quelques années, le prix des installations a considérablement baissé... mais pas le nombre de CV octroyés (six par MWh photovoltaïque produit contre un pour le MWh éolien). L’investissement photovoltaïque est aujourd’hui très rentable : certaines installations seraient amorties en moins de cinq ans.

Vu le succès de cette filière, il y a aujourd’hui pléthore de CV sur le marché. Pour garantir une subvention minimale aux producteurs, le gouvernement a imposé un prix plancher pour les CV en contraignant Elia – le gestionnaire du réseau haute tension – à racheter les certificats qui n’auraient pas trouvé acquéreur, à un prix fixe de 65 euros. Aujourd’hui, Elia rachète les CV excédentaires et répercute le coût sur les consommateurs. Ce sont les 2,5 milliards dont on parle actuellement. Notons que le déséquilibre sur le marché des CV correspond grosso modo aux CV octroyés à la filière photovoltaïque.

Le 15e jour : Peut-on parler d’imprévoyance politique ?

A.G : Evidemment ! Le soutien généreux dont bénéficie la filière photovoltaïque a dopé le nombre de nouvelles installations, plus de 25 000 par an ces dernières années. Et ces installations ne sont pas toutes motivées par un souci écologique, mais bien par un rendement financier élevé du fait de l’octroi trop généreux de CV. Comme ceux-ci sont accordés pour une période de 15 ans, le succès de la filière rendait prévisible le déséquilibre sur ce marché. Le régulateur wallon le mentionnait déjà en 2011. On aurait pu éviter le surcoût des CV, répercuté par Elia sur les consommateurs, en adaptant le niveau de soutien à l’évolution du marché. Des décisions dans ce sens devraient être prises rapidement.

ErnstDamienLe 15e jour du mois : Techniquement, les panneaux
photovoltaiques sont-ils une bonne solution ?

Damien Ernst : Participant à la décarbonification et la dénucléarisation de notre environnement, les panneaux photovoltaïques sont une solution énergétique d’avenir. Mais qu’en est-il de la pertinence de cette technologie dans nos contrées ?

Est- ce que de petites unités de production individuelles qui, avec un ensoleillement souvent insuffisant, peuvent espérer 20W par m2, sont une solution idéale ? Sous nos latitudes, les panneaux produisent vraiment entre 11h et 15h, environ. Or ce n’est pas la période pendant laquelle la consommation en électricité est la plus forte. Il serait préférable de subventionner des mécanismes de modulation de la consommation résidentielle.

Le 15e jour : La réinjection d’électricité sur le réseau pose des problèmes ?

D.E. : Notre réseau électrique a été conçu pour de grandes unités de production électrique connectées au réseau de transmission sur lequel s’attachent des réseaux de distribution. Or de nos jours, de plus en plus d’unités de production d’énergie sont plutôt connectées aux réseaux de distribution qui n’ont absolument pas été conçus pour cela. Cela cause d’énormes problèmes. Par exemple, dans une rue où sont installés beaucoup de panneaux photovoltaïques, on observe parfois des tensions allant jusqu’à 290V ! Par ailleurs, on remarque maintenant que, à cause de l’énergie photovoltaïque, nos centrales au gaz ne sont plus rentables. Si des mesures spécifiques ne sont pas prises par le gouvernement, elles fermeront : aucune compagnie ne peut en effet accepter de perdre plusieurs dizaines de millions d’euros par an.... Cela laissera la Belgique beaucoup trop dépendante des importations en électricité lorsqu’il y aura des pics de consommation et très peu d’énergie renouvelable produite, comme c’est le cas, par exemple, en fin d’après midi par période de grand froid. Les risques encourus par une telle situation sont considérables. En effet, si le réseau électrique européen a atteint sa limite de capacité de transmission en certains endroits clés, il ne nous sera pas possible d’importer assez d’énergie et cela sera le blackout avec toutes ses conséquences socio-économiques dramatiques.

Le 15e jour : Voyez-vous d’autres solutions ?

D.E. : Equiper de grandes fermes solaires dans des pays à la météo propice n’est plus, techniquement, de la science-fiction. Là, chaque m2 génère jusqu’à 2,5 fois plus d’énergie que chez nous. Même si l’on inclut les pertes dues au transport, largement compensées pas les gains en performance de l’installation, le calcul est vite fait. De tels projets existent déjà de l’autre côté de la Méditerranée, mais ces investissements gigantesques demandent la participation de plusieurs Etats et entraînent des questions d’ordre géopolitique.

Il reste bien évidement ce problème de fluctuation de la production d’énergie à régler. Une solution simple et efficace pour régler ce problème serait de construire un réseau électrique qui connecte par exemple l’Amérique du Nord avec l’Europe. Vu le décalage horaire entre les deux continents, on peut facilement comprendre que cela permettrait de réduire ce problème de fluctuation de la production d’énergie. J’ai moi-même récemment réalisé une étude sur le sujet qui montre que c’est techniquement faisable et économiquement rentable.

Propos recueillis par Marc-Henri Bawin

Voir l’article S. Chatzivasileiadis, D. Ernst and G. Andersson “The Global Grid”, à paraître dans Renewable Energy.

L’article est néanmoins déjà accessible sur le site http://www.montefiore.ulg.ac.be/~ernst/uploads/news/id140/Global_Grid_RENE_final.pdf

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants