Avril 2013 /223

Retour à la source de l’internet

VerlyJacquesAlors que Liège se positionne comme une capitale de la connectivité et que le Cloud Computing nous envahit, il est sans doute utile de savoir que la connectivité a commencé il y a plus d’un demi-siècle. Car si l’internet et la toile (“web”) ont environ 23 ans, l’histoire de la connectivité commence en 1962. La source de l’internet, et donc de la connectivité, se trouve indiscutablement au Massachusetts Institute of Technology (MIT ) et son Lincoln Laboratory. Rétroactes.

1962. Le Pr J.C.R. Licklider du MIT émet l’idée d’un “réseau intergalactique” connectant les personnes et permettant un accès mondial aux programmes et données. Il devient le directeur du programme de recherches sur les ordinateurs au département de la Défense aux Etats-Unis (Arpa). P. Baran finit d’écrire pour l’US Air Force un rapport sur la survie des réseaux téléphoniques, où il préconise notamment ce qui sera appelé plus tard la commutation de paquets (“packet switching”). L. Kleinrock finit son doctorat sur les files d’attente à l’université de Californie de Los Angeles (Ucla). Le système radar “Sage” développé par le MIT Lincoln Laboratory et IBM est déployé dans le nord du continent américain pour repérer les missiles intercontinentaux. Les ordinateurs du Sage sont les plus grands jamais construits : chacun avec 55 000 tubes à vides, 2000 m2, 245 tonnes et 3 MWatts.

1963. L. Roberts termine son doctorat au MIT sur la “La perception machine des solides à trois dimensions” et rejoint le MIT Lincoln Lab. J.C.R. Licklider discute avec lui de sa vision de réseaux d’ordinateurs.

1964. La thèse de L. Kleinrock (Ucla), document fondateur pour l’optimisation de la commutation de paquets, est publiée à l’université de Californie. IBM lance son ordinateur central (“mainframe”) IBM System 360. J.C.R. Licklider revient au MIT et I. Sutherland prend sa place à Arpa.

1965. L. Roberts réalise, sous financement Arpa, la première connexion longue-distance entre deux ordinateurs – le TX-2 du MIT Lincoln Lab et le Q-32 de System Development Corporation (SDC) –, utilisant une ligne téléphonique et des coupleurs acoustiques. Le TX-2 (1958) est un successeur du TX-0, le premier ordinateur à transistors, successeur du Whirlwind à tubes du MIT, et l’arme secrète du MIT Artificial Intelligence Laboratory. D. Davies, du National Physical Laboratory (NPL) en Angleterre, développe indépendamment le concept de commutation de paquets. L’entreprise Digital Equipment Corporation, dirigée par K. Olsen, un ancien du MIT Lincoln Lab, lance le PDP-8, basé sur le TX-2 : c’est le premier mini-ordinateur à connaître un succès commercial.

1966. B. Taylor quitte la Nasa et succède à Sutherland à la tête d’Arpa/IPTO. Dans son bureau, il y a trois terminaux distincts, chacun lié à une ligne téléphonique reliée à un ordinateur situé à distance. Les systèmes sont incompatibles ! Taylor parle de cet obstacle majeur au directeur d’Arpa, C. Herzfeld, qui décide en 20 minutes de consacrer 1 million de dollars à la recherche sur les réseaux d’ordinateurs (“networking”). B. Taylor persuade L. Roberts de quitter le MIT Lincoln Lab pour venir travailler à Arpa sur ce projet.

1967. L. Roberts organise une conférence, W. Clark y suggère que le réseau soit géré par des “Interface Message Processors (IMP’s)”, auxquels sont branchés les gros ordinateurs du réseau. Les IM P’s sont nos routeurs actuels. L. Roberts développe son plan pour le réseau “Arpanet”. Le mot “paquet“ de D. Davies est adopté. Le modem à couplage acoustique est perfectionné au Stanford Research Institute (SRI).

1968. L. Roberts raffine le design de l’Arpanet. Il prévoit d’y connecter le plus gros calculateur de l’époque – l’Illiac IV de Burroughs – pour permettre aux chercheurs d’y avoir accès à distance.

1969. L’Arpanet commence avec quatre noeuds. L’équipe de l’université de Californie est chargée d’établir le “protocole” de communication et prend le nom de “Network Working Group (NWG)”. La première connexion est établie le 29 octobre 1969, entre UCLA et SRI.

1971. L’Arpanet passe de 14 à 19 noeuds. Le NWG termine son protocole Telnet et avance dans son “File Transfer Protocol (FTP)”. Intel lance son microprocesseur 4004.

1972. R. Tomlinson de Bolt, Beranek and Newman (BBN) écrit un programme de courriel. Il utilise user@host, mais ce n’est qu’à la fin des années 80 que le “@” sera universellement adopté. Les calculatrices électroniques TI et HP apparaissent dans la foulée du 4004, signifiant aussi la fin de la règle à calcul. Xerox PARC développe le langage Smalltalk et Bell Labs le langage C. Des démonstrations de l’Arpanet sont organisées pour le public lors d’une conférence à Washington.

Le développement de l’Arpanet continua pendant 18 ans. En 1989, T. Berners-Lee, du Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern), propose l’hypertexte, base du “(World Wide) Web”. En 1989, 160 000 ordinateurs sont connectés à l’Arpanet qui prend fin, un an plus tard, riche de 300 000 ordinateurs connectés. L’internet prend alors la relève. Larry Roberts, du MIT Lincoln Lab, est universellement considéré comme étant le père de l’internet et donc de la connectivité. Comme beaucoup d’inventions techniques majeures, l’internet est né des besoins de défense nationale, américains en particulier, et a ensuite trouvé maintes applications, pour la plupart non anticipées initialement, dans notre vie de tous les jours.

Aujourd’hui, le “Cloud Computing”, bien qu’étant essentiellement une appellation commerciale, nous permet, avec ses nouveaux IaaS, PaaS et SaaS de louer à la demande du stockage de données et des ressources de calcul. Il est probable que les prochaines étapes soient l’internet des objets, où le moindre objet sera connecté à l’internet, et l’internet galactique, qui s’étendra au-delà de notre Terre.

Pr Jacques G. Verly, Institut Montefiore
ancien chercheur au MIT Lincoln Laboratory, de 1980 à 2000

En partie inspiré de www.computerhistory.org/internet_history

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