Avril 2013 /223

Quand l’enfant devient parent

Stéphanie Haxhe, psychothérapeute au service de clinique systémique et de psychopathologie relationnelle de l’ULg et docteur en psychologie depuis 2010, vient de publier L’enfant parentifié et sa famille*. Cet ouvrage, qui s’inscrit dans le prolongement de ses recherches doctorales sur la fratrie en tant que source de protection ou d’activation de psychopathologies telles que la “parentification”, est sous-tendu par une volonté d’apporter un éclairage nouveau sur ce concept.

Malgré l’utilisation fréquente de ce terme par les intervenants sociaux et les thérapeutes familiaux, la chercheuse a constaté que sa définition reste imprécise et trop générale. Elle doit au contraire être considérée en tant que “processus organisationnel complexe”, c’est-à-dire selon un contexte précis et une conjonction de facteurs spécifiques. La littérature scientifique s’accorde sur le fait que la parentification émerge dans une structure familiale au sein de laquelle le parent a subi des carences affectives durant son enfance (violence, manque de reconnaissance, décès prématuré d’un des parents, etc.) et la décrit comme un processus d’inversion des rôles. L’enfant parentifié fait preuve d’une maturité précoce, car il doit assumer des responsabilités d’adultes afin de soutenir et de rassurer son père ou sa mère. Cependant, en se détournant de ses préoccupations, il réprime ses propres besoins. A l’âge adulte, cela se traduit souvent par des troubles obsessionnels compulsifs, des angoisses, des questionnements identitaires, etc.

Ce phénomène peut revêtir plusieurs formes. Les plus aisées à détecter sont les plus manifestes : “l’enfant soignant” par exemple, qui demeure au domicile auprès d’un parent alcoolique ou dépressif et qui déserte l’école. Certains types de parentification échappent cependant au diagnostic car, même si certains détails sont révélateurs, ils ne sont pas forcément explicites et passent souvent plus inaperçus. C’est le cas de “l’enfant parfait” qui n’est pas toujours reconnu comme parentifié : sa profonde anxiété et son mal-être sont en effet occultés par une apparence et un comportement irréprochables.

Une utilisation hâtive ou restrictive du terme par les professionnels peut aussi donner lieu à un diagnostic faussé et engendrer corollairement une mauvaise prise en charge thérapeutique. Selon Stéphanie Haxhe, « la responsabilité des intervenants sociaux est de reconnaître et de comprendre cette psychopathologie aux multiples facettes afin de mieux la traiter ». Une meilleure compréhension de la parentification permettra de plus d’éviter les amalgames avec d’autres processus comme la parentalisation. A l’inverse de l’enfant parentifié, l’enfant parentalisé ne prend pas la place du parent mais occupe plutôt un rôle d’auxiliaire dans la dynamique familiale. Un aîné issu d’une famille nombreuse doit par exemple veiller sur ses frères et soeurs. Il exerce des tâches parentales précises dans un contexte donné mais ne doit pas pour autant renoncer à ses besoins.

Face aux difficultés qui entravent la reconnaissance de la parentification, Stéphanie Haxhe dresse non seulement un panorama des différentes acceptions du terme, mais apporte des nuances et propose des critères d’identification. Elle attire également l’attention sur l’importance de procéder à une thérapie collective axée sur la fraterie lorsqu’il y a plusieurs enfants impliqués, de façon à briser le sentiment de solitude et de cloisonnement. « Dans l’ensemble de la littérature, on dit toujours qu’il n’y a qu’un seul enfant parentifié mais c’est faux, assure la chercheuse. Quand les besoins du parent sont importants, cela se répartit dans la fraterie. Chaque enfant apporte quelque chose au parent à sa manière et selon sa sensibilité. »

L’ouvrage s’adresse aux éducateurs, aux enseignants, aux psychologues et psychothérapeutes et donne des pistes pour éviter que l’enfant ne reproduise le même schéma à l’âge adulte.

Marjorie Ranieri

voir l’article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (Société/psychologie)

* Stéphanie Haxhe, L’enfant parentifié et sa famille, coll. “Relations”, Erès, Toulouse, 2013.

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