Avril 2013 /223

Pour ne plus regarder les jeunes couler

On se dit que c’est juste l’adolescence et sa fameuse crise... Mais, parfois, on a tort : être jeune n’exclut pas d’être déprimé. Sauf que cela ne se manifeste pas sous les même symptômes que chez les adultes. Résultats scolaires en baisse, irritabilité, agressivité, sentiment d’exclusion : voilà de quoi se méfier. On estime que de 5 à 7 % des adolescents connaissent un épisode dépressif majeur. Les filles sont deux fois plus touchées que les garçons et, dans les deux tiers des cas, ces jeunes ne sont pas soignés. Le risque ? Voir se développer des troubles du caractère, des échecs scolaires, des dépendances, des conduites suicidaires. Grâce aux recherches menées par la psychologue Aurore Boulard pour sa thèse*, le fond et les formes de la dépression peuvent désormais être mieux décryptés. Et repérés.

Signes d’alerte

La psychologue a commencé par étudier l’influence de l’école, et du groupe des pairs, dont l’acceptation ou le rejet joue un rôle important sur la santé mentale du jeune. Sa recherche menée auprès de 2896 étudiants de 12 à 18 ans a permis de mettre en lumière des variables, prédicteurs de la dépression. Parmi eux, une chute des résultats scolaires. Mais pas seulement... « Les adolescents les plus à haut risque de dépression ont tendance à rechercher le contact avec les autres. Lorsqu’ils sentent qu’ils “décrochent”, une sorte de comportement de survie les pousse à être “gentils” pour garder un lien social, vital à cet âge. Pourtant, ces efforts pourraient être mal perçus et conduire à favoriser l’exclusion », prévient la psychologue. Un autre facteur mérite d’être mis en parallèle avec ce premier constat : celui du poids des amitiés intimes. Quel que soit l’âge, le fait de ne pas avoir de meilleur ami du même sexe que soi est hautement corrélé avec le sentiment dépressif. Les agressions verbales risquent, aussi, d’augmenter l’humeur dépressive. « Ce phénomène d’agression est minimisé par les adolescents et par les professeurs », constate Aurore Boulard. Pourtant, le jeune régulièrement agressé peut devenir la brebis galeuse, celui que l’on exclut et qui se sent rejeté. « L’une des tâches de l’adolescence consiste à apprendre à vivre en groupe : si le jeune aime l’école, c’est pour les copains qu’il s’y fait. Il est vital, pour lui, d’appartenir à un groupe », assure-t-elle. En 2011-2012, une deuxième recherche a impliqué 1496 adolescents. Elle a permis, entre autres, de confirmer qu’ils exprimaient leurs affects (sentiments) dépressifs par des aspects somatiques (comme des maux de tête ou des maux d’estomac). « Au final, quatre items sont davantage marqués chez les filles et les garçons : se sentir sans énergie, être irritable, douter de sa valeur, se sentir mal dans sa peau », détaille Aurore Boulard.

Cette étude a également mis en évidence l’importance du “timing pubertaire”. « Nous pressentions que le problème risquait de se situer autour de la difficulté à accepter ses différences par rapport aux autres », explique la psychologue. De fait, deux catégories de jeunes ont obtenu de hauts scores de dépression : ceux très en avance et ceux très en retard, ce qui entraîne l’exclusion du groupe de pairs de même sexe. Ainsi isolé, le jeune, insécurisé, se sent jugé, un facteur déterminant face à la dépression. Enfin, une troisième étude pour le moins originale s’est intéressée aux contenus et à la forme des “parcours de vie” des adolescents, avec les 60 témoignages de jeunes non dépressifs ou dépressifs scolarisés ou, encore, hospitalisés en pédopsychiatrie pour un épisode dépressif majeur. Pour tous, la question posée était celle-ci : “Qu’est-ce qui a fait que tu es devenu ce que tu es aujourd’hui ?” Un logiciel a permis de classifier tant la syntaxe que l’utilisation et la répétition des mots. Il a montré que les jeunes non-déprimés utilisent le “je” suivi d’un subjectif : “je sais, je pense, je trouve, j’aime”, mais, aussi, le “on” ou le “nous” dans lequel ils englobent d’autres personnes. Ils peuvent se projeter dans un futur conditionnel (“j’aimerais”).

Spirale dépressive

Pour les déprimés, le “je” est complété par “être” ou “avoir” à l’imparfait. Ils parlent de personnes seules (le père, la mère, le copain). De plus, entre les jeunes hospitalisés et les autres, on entend de grandes différences. Les seconds parlent énormément de l’école, sur laquelle ils semblent tout miser. Et lorsqu’ils pensent à leur futur, c’est sur un plan professionnel. Les jeunes hospitalisés, eux, se définissent par leur maladie dépressive. Leur discours est caractérisé par la présence significative de l’expression “j’ai l’impression”, souvent suivie d’un sentiment de rejet, d’abandon, d’infériorité. Ces jeunes rapportent aussi le plus d’événements de vie négatifs.

« L’ensemble de ces recherches ont montré que l’exclusion, les agressions verbales et le sentiment d’être jugé par les pairs jouent un rôle majeur sur le bien-être de l’adolescent. De plus, son humeur dépressive donne aussi des signaux de faiblesse propices aux attaques et à l’instauration d’une situation de harcèlement qui, ajoutée à des relations sociales minimes, est fortement liée au développement de sentiments dépressifs et d’idées suicidaires (surtout chez les filles) », précise Aurore Boulard. Tout est alors en place pour qu’une spirale dépressive s’installe. Comme dans le Titanic, l’eau envahit cale par cale. Et c’est ainsi que les jeunes coulent...

Pascale Gruber

voir l’article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/psychologie)

* “De l’humeur dépressive à la dépression chez l’adolescent : statistiques et narrativité“.

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants