Avril 2013 /223
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Regard scientifique sur l’écrivain Hubert Nyssen

DurandPascalPascal Durand est professeur au département des arts et sciences de la communication – institutions culturelles et information. Il dirige par ailleurs le Centre d’étude du livre contemporain (Celic) de l’ULg, lequel a depuis 2005 en dépôt l’ensemble des archives littéraires et personnelles de l’éditeur et écrivain Hubert Nyssen ainsi qu’une collection complète, tenue à jour, de toutes les publications entrées au catalogue des éditions Actes Sud qu’il a fondées en 1978. Le mercredi 8 mai, une journée d’étude – intitulée “Les Ecritures d’Hubert Nyssen” – sera consacrée à cette grande figure des lettres belges, qui reçut en 2003 les insignes de docteur honoris causa de notre Université.

Le 15e jour du mois : En quoi consiste cette journée d’étude consacrée aux “Ecritures d’Hubert Nyssen” ?

Pascal Durand : Dans les mois qui ont suivi la mort d’Hubert Nyssen, survenue le 12 novembre 2011, plusieurs rencontres ont été organisées à sa mémoire par différentes institutions telles que la Foire du livre de Bruxelles, le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris et la Bibliothèque nationale de France. Ces rencontres ont mis pour l’essentiel en relief le fondateur des éditions Actes Sud, en n’éclairant que très latéralement l’écrivain qui, chez lui, n’a pas cessé d’escorter l’éditeur. Notre journée d’étude liégeoise déplacera la perspective à deux égards : d’une part, en sortant du registre de l’hommage au profit d’une approche proprement universitaire et, d’autre part, en portant l’accent sur les multiples facettes d’une activité créatrice qui s’est exercée dans des registres très divers.

Auteur d’une quinzaine de romans, Hubert Nyssen fut aussi poète, homme de théâtre, essayiste, diariste et – chose moins connue – un excellent photographe doublé d’une sorte d’anthropologue de terrain, avec une bonne centaine de clichés ramenés d’Algérie en 1970, qui nous ont été exceptionnellement confiés pour l’occasion par ses héritiers. Chacune de ces facettes fera l’objet d’une communication, le tout formant le portrait kaléidoscopique d’un véritable homme orchestre de la création. Cette journée sera aussi l’occasion pour quatre étudiants de notre master en médiation culturelle et métiers du livre de soumettre à la discussion leur projet de mémoire relatif à l’éditeur ou à l’écrivain.

Le 15e jour : Quelle place occupera la réédition du roman “Le Nom de l’arbre“* lors de cette rencontre ?

P.D. : La journée d’étude du 8 mai, qui s’ouvrira par une communication relative au Nom de l’arbre, répond à la réédition toute récente, dans la collection patrimoniale “Espace Nord“, de ce premier roman paru en 1973 chez Grasset. Comme le veut cette collection dont l’objectif est de mettre à disposition des enseignants de lettres un corpus de classiques de la littérature de Belgique, cette réédition est suivie d’un commentaire approfondi, que j’ai rédigé avec Benoît Denis, touchant non seulement aux structures narratives du roman, mais aussi aux rapports très subtils que celui-ci entretient à la fois avec son contexte de parution et le cadre historique dans lequel son action est située. Occasion de souligner que ce roman ajuste sa rhétorique complexe et pourtant très lisible aux transformations politiques et culturelles que la Belgique a connues des années 30 aux années 60. L’élément central du récit, emprunté au vécu personnel de l’auteur, est d’une grande force dramatique : la passion amoureuse développée par le narrateur, à la fin de son adolescence, pour une jeune enseignante qui sera arrêtée pour faits de résistance et assassinée dans un camp de concentration, sans laisser aucune trace dans les registres des déportés.

Le Nom de l’arbre s’écrit tout entier sous le signe de cette perte, gravite autour de cette absence insupportable. Parvenu à l’âge adulte, le narrateur ne cesse pas de se remémorer cet événement traumatique et, en dialogue interrogatif avec ceux qu’il a été à différents moments de sa vie, c’est moins à la ressaisie d’une identité cohérente qu’il parvient qu’à une sorte d’emboîtement de différents personnages. Cet emboîtement, qui trouve son emblème récurrent dans la figure des poupées gigognes, affecte jusqu’aux structures narratives du roman et amorce, dès Le Nom de l’arbre, la méditation que Nyssen développera tout au long de son oeuvre sur les propriétés de la mémoire et du langage, voulant que la fiction toujours s’ajoute au souvenir et que les mots éloignent, en les enveloppant, les choses qu’ils désignent.

Le 15e jour : En quoi ce roman est-il représentatif de l’histoire de la Belgique contemporaine ?

P.D. : S’il est centré sur un narrateur en proie à un deuil impossible remontant à la fin de l’Occupation, Le Nom de l’arbre n’en développe pas moins toute une galerie de personnages qui, sur trois générations, procure au lecteur le portrait en raccourci – politique et social, mais aussi linguistique – d’une Belgique allant en gros des années 30 au lendemain de la Question royale. Son propos romanesque se trouve ainsi articulé au processus de désagrégation de l’Etat unitaire et de délitement des illusions ou, si l’on préfère, des valeurs dont celui-ci se soutenait. Par le moment de sa publication, au début des années 70, il témoigne d’autre part du rapport de réflexivité très paradoxale qu’un certain nombre de romanciers belges – au premier rang desquels Pierre Mertens, auquel Le Nom de l’arbre est significativement dédié – ont cherché alors à établir, au delà de l’esthétique universaliste de la génération précédente, avec un pays à l’égard duquel la relation d’appartenance n’allait plus de soi.

Cette réflexivité, Hubert Nyssen la met en jeu avec un art accompli dans ce premier roman qui est peut-être bien son chef-d’oeuvre et où pourtant se dessine la trame de tous les suivants, jusqu’aux Déchirements (2008) et L’Helpe mineure (2009), qui exorciseront une dernière fois la figure de la jeune résistante disparue en déportation. Cette figure ne cessera pas en effet de hanter non seulement l’écrivain, mais aussi l’homme Nyssen, dont l’énergie de création, sur les deux terrains de l’édition et de l’écriture, a procédé pour une part, comme il en a fait la confidence, d’une sorte de dette symbolique et affective à l’égard de cette femme assassinée : dès lors que cette jeune vie avait été fauchée, quel droit aurait-il eu, lui, de gaspiller la vie qu’il avait à vivre ?

Propos recueillis par Henri Deleersnijder

* Bruxelles, Communauté française de Belgique, coll. “Espace Nord“, n° 316, 2013.

Les Ecritures d’Hubert Nyssen

Le jeudi 8 mai à partir de 9h au sémaire Mac Luhan (Médias), place du 20-Août 7 (2e étage), 4000 Liège.

Informations sur le site www.infocom.ulg.ac.be

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